Les jardins d'Hélène

Que reste-t-il de la culture française ? – Donald Morrison, suivi de Le souci de la grandeur – Antoine Compagnon

11 Avril 2009, 15:52pm

Publié par Laure

Traduit de l’américain par Michel Bessières.

 

La polémique est née d’une couverture de Time magazine de novembre 2007 annonçant la mort de la culture française. Le journaliste américain, Donald Morrison, vivant en France depuis 5 ans, a déclenché un tollé général avec son article, qui loin de vouloir enterrer la spécificité culturelle de la France, en démontrait simplement l’affaiblissement de sa portée sur le reste du monde.

Il revient ici sur cet article et ses arguments, explique qu’il n’a pas choisi le titre qui a fait scandale en une, qu’il n’en a même pas eu connaissance avant parution, et redéploie dans cet essai son jugement : « il règne bien en France une extraordinaire vitalité culturelle, ce qui a changé, c’est qu’elle ne rayonne plus guère à l’étranger »

Loin de moi l’idée d’opposer des arguments à l’auteur, bien d’autres bien mieux placés et bien plus compétents l’ont fait. Néanmoins Morrison ne fait que relever ce qui me paraît des évidences, et le scandale n’est que le résultat d’un pays (le nôtre !) qui ne tolère pas la critique. Vous savez, le village de petits gaulois qui résiste…

Je me suis intéressée tout particulièrement à la question de la littérature française (davantage qu’au cinéma, théâtre, arts et architecture aussi évoqués dans ce livre) et y ai noté des choses intéressantes, là encore, pas révolutionnaires, que Morrison relève avec humour.

 

p. 42 : « En moyenne, chaque année, les 10 000 éditeurs que compte le pays (d’après le Syndicat national de l’édition) mettent en circulation 60 000 nouveaux titres dans tous les genres. Toutefois, la presse et le public vont s’intéresser aux 1000 à 2000 romans publiés au cours de ces deux rentrées, et à un nombre équivalent d’autres nouveautés – principalement des essais – en dehors de ces deux périodes. On peut considérer que ce corpus constitue la littérature française contemporaine. En France, ces livres vont trouver des lecteurs, susciter des discussions dans les émissions télévisées, les magazines et les dîners. Hors de France, ils vont laisser à peu près tout le monde indifférent

Seule une fraction de cette production sera susceptible d’éveiller la curiosité des éditeurs étrangers et moins d’une dizaine de ces romans paraîtront aux Etats-Unis. »

 

p. 48 : « L’Amérique est le pays d’origine d’un tiers de l’ensemble des traductions vendues en France ».

 

p. 50 : « 27% des livres qui sont publiés dans le monde le sont en anglais, 12% en allemand, et 8% en français. »

 

p. 51 : « plus de 900 prix littéraires sont attribués chaque année en France. » (Comment voulez-vous vous y retrouver ?!)

 

p. 52 : « Le problème tient à la littérature française elle-même, devenue ésotérique, distante du monde réel et donc difficile à exporter. »

 

p. 56 : « L’autofiction est un vaste problème en France, m’avouait François Busnel, directeur éditorial du magazine Lire, en 2007 dans son bureau envahi par les livres. « J’estime que 70% des 727 romans de cette rentrée relèvent de cette démarche. Si la littérature ne doit pas se cantonner à mes problèmes personnels, alors elle devient un exercice ardu, qui implique des recherches, le développement de personnages universels. Mais si je peux raconter une histoire d’amour, mes trajets en métro, ma rupture, alors tout devient plus facile. Avec le structuralisme et le nouveau roman, la littérature est devenue une sorte de thérapie. Si bien que tout le monde estime pouvoir écrire aujourd’hui. » (Il est bien ce Busnel quand même !) « Anne Carrière, directrice de la maison d’édition qui porte son nom, dresse le même constat : « le premier conseil que j’aimerais donner aux jeunes auteurs est : « arrêtez de confier vos misères à la plume », écrivait-elle dans Lire en avril 2007. Les trois quarts des manuscrits que je reçois sont des psychothérapies, non des romans. Et, franchement, vos petits problèmes personnels n’intéressent personne. »

 

p. 65 : (en littérature comme dans le cinéma) : « trop d’emphase intellectuelle, de manque d’action, la priorité est accordée aux relations entre les individus aux dépens des interrogations sociales ou politiques. »

 

p. 103 : « le déclin culturel français a une autre cause : le système scolaire. Naguère réputé pour sa rigueur, il est aujourd’hui sous le feu des critiques. On lui reproche d’accorder la priorité à l’épanouissement individuel aux dépens de l’acquisition des connaissances. »

 

Le souci de la grandeur est une réponse (qui va surtout dans le même sens) du professeur au Collège de France, Antoine Compagnon. Il m’a fait sourire avec ce paragraphe :

 

p. 140 : « de retour à Paris après la bataille, je trouvai dans mon courrier pas mal de lettres – bien plus nombreuses que lorsque je m’exprime dans les journaux sur les universités, la recherche ou l’école - , qui s’en prenaient à ma tribune du Monde. Pour la plupart, les auteurs étaient animés par un antiaméricanisme assez franc, endémique en France. Une de mes phrases les avait spécialement fâchés, celle où, donnant acte à Donald Morrison de l’attrait modeste du roman français contemporain, j’avouais que je lisais « le dernier Philip Roth, Pynchon ou DeLillo plus volontiers que la dernière autofiction germanopratine, facétie minimaliste, ou dictée post-naturaliste. » La moutarde en était montée au nez de mes interlocuteurs, mais c’était surtout l’allusion à Philip Roth qui les avait indignés – je fais l’hypothèse que les deux autres noms ne leur disaient rien- , et ils m’opposaient tel ou tel écrivain français rare, gentil et inoffensif au nom de la défense de la langue française : « je donnerais tous les pavés indigestes de Roth, dont je n’ai jamais pu finir aucun, pour quelques pages touchantes de Paul Maçon sur un crépuscule de Châteauroux », m’écrivait l’un deux. » (C’est sûr qu’avec ça, la littérature française va rayonner hors de nos frontières !)

 

Ceci dit Compagnon ayant un peu moins d’humour sur la longueur que Morrison, son article m’a paru un brin soporifique au final. Pauvres universités françaises laissées à l’abandon, langue française en recul dans le monde, culture liée à l’Etat (subventions) ce qui est un plus grand mal qu’un bien, etc. souvent des redites de Morrison. La culture française n’est pas morte, il faudrait juste qu’elle accepte d’être un peu secouée de temps en temps. Sinon tout le monde ronfle à l’intérieur des frontières, alors à l’extérieur pensez donc, on nous laisse dormir.

(Quel écrivain français aujourd’hui, écrivant en français, a réellement du souffle pour séduire un public international ?)

 

Denoël, septembre 2008, 204 pages, prix : 13 €

Ma note :

Crédit photo couverture : éd. Denoël


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L
ça m'a l'air bien vrai ce que tu écris malheureusement. C'est vrai que qd je fais le compte de mes lectures récentes il n'y a qu'un livre sur trois environ qui est français. Il faut dire qu'en dehors de l'autofiction et lectures facile et toujours pareilles à la Marc Lévy il ne reste plus grand chose à se mettre sous la dent en France.
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L
<br /> Et pourtant je lis toujours autant de littérature française... je dois être maso ? ou j'ai l'espoir de trouver quelques perles quand même... bon il y a aussi du très<br /> bon parfois, et tant pis si c'est pas exportable, mais sûr que pour construire une vraie fiction, les français manquent un peu de souffle...<br /> <br /> <br />
A
On peut en dire aussi des séries françaises comparées aux américaines.. On reste bien au chaud sans trop déranger..
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H
Ton billet est très explicite, je vais me l'acheter ce bouquin ... pour me cultiver aussi LOL !!!
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L
<br /> faut le vouloir quand même hein, parce que c'est pas une lecture détente... mais j'aime bie le point de vue de l'auteur :-) si je ne travaillais pas dans des métiers<br /> de la culture, je ne l'aurais sans doute pas lu !<br /> <br /> <br />