Les jardins d'Hélène

Muette - Eric Pessan

7 Décembre 2013, 13:26pm

Publié par Laure

Muette, c’est l’histoire d’une fugue. Celle d’une adolescente de 15 ans au sein d’une famille mal aimante où la communication est impossible. Muette organise sa fuite dans une cabane en forêt, avec un duvet, de l’eau, et quelques menues provisions. Son errance, son rejet de cette violence sourde, l’histoire particulière de sa naissance, tout est finement évoqué, quelques phrases courtes en italique parsèment le récit pour dire la violence qui frappe Muette. Ces propos sont ceux de tiers, parents essentiellement mais aussi voisins, connaissances, enseignants, infirmière scolaire, ils éclairent le comportement de la jeune fille.

 

Le récit s’inscrit aussi fortement dans l’expérience du corps et de la nature : comment survivre sans rien ou presque, la chaleur, le froid, les animaux sauvages, tout élément auquel on prête peu d’attention d’ordinaire devient crucial. On se doute que la fugue aura un terme, Muette est sans doute recherchée par la gendarmerie, ses parents ont logiquement signalé sa disparition, le texte tend vers ce moment et l’après.

 

Si j’ai beaucoup aimé ce texte où affluent les émotions par quelques lignes qui font mouche et décuplent la noirceur familiale, j’y ai trouvé parfois quelques longueurs, et surtout une fin qui m’a déçue, même si elle se tient, bien évidemment, j’aurais aimé aller plus loin, mais cela, c’est ma réaction très personnelle. L’auteur a su également m’intriguer par les éléments d’intertextualité qu’il cite en fin d’ouvrage, et m’a donné envie de lire la femme changée en renard, de David Garnett, un classique désormais, allégorie du combat entre l’âme et le corps …

 

p. 161 : « Trop penser à ses parents oblige Muette à les imaginer, face à face, dans la cuisine, bol de thé contre bol de café, pain de la veille grillé. Que se disent-ils ? Parlent-ils d’elle ?

Elle veut notre mort,

ou évitent-ils d’échanger la moindre parole ? Ça ne tenait qu’à son père que Muette ne fugue pas. Ça ne tenait qu’à sa mère qu’elle reste. Ça ne tenait qu’à un peu d’attention, de protection, qu’à un regard qu’il faudrait arrêter de détourner. Muette se force à avaler son thé trop chaud pour que la brûlure éloigne ces pensées et l’empêche de les haïr tout à fait. »

 

p. 17 : « Souvent, Muette parle. Les choses ne réduisent pas à une grossière simplification, il ne faut pas croire. Manier les mots, Muette sait le faire ; ouvrir la bouche, arrondir les lèvres et tordre la langue pour articuler des phrases, elle y parvient si bien que beaucoup se leurrent et ne voient pas qu’au fond d’elle, elle est Muette,

toujours tu nous mens.

Tête de mule.

Arrête tes mensonges et file dans ta chambre.

Sors de ta chambre, et viens nous parler, tu vis enfermée, on dirait que l’on n’existe pas.

Tais-toi.

Dis quelque chose. »

 

Albin Michel, août 2013, 210 pages, prix : 16,50 €

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Crédit photo couverture : © éd. Albin Michel

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